La reconquête du lit de la Loire

L'abaissement du fil de l'eau, aux débits d'étiage, est une source de préoccupation de tout un chacun à des titres divers et a fait l'objet d'interventions dans le lit mineur du fleuve pour tenter d'inverser cette tendance. A ce titre, les deux seuils expérimentaux d'Ingrandes/Le Fresne marquent la première intervention dans ce sens. Compte tenu des résultats, il reste à définir leur devenir, ce qui ne devrait pas trop tarder. Dans le même esprit, le remodelage expérimental des épis entre Bouchemaine et Chalonnes a été effectué en 2009 avec des résultats intéressant tant sur la dynamique sédimentaire que le relèvement de la ligne d'eau malgré des débits hivernaux bien médiocres de la Loire jusqu'à fin 2012. Simultanément, ont été engagées des opérations d'amélioration du fonctionnement des annexes hydrauliques constituées de "boires" et de bras morts (1). Enfin, V.N.F. (2) a débuté, en 2012, une opération de dévégétalisation du lit mineur, en aval d'Ancenis, pour permettre une meilleure remobilisation des sédiments et améliorer l'écoulement des crues.

Pour mémoire, la réalisation de seuils dans le secteur de Bellevue avait été envisagée puis abandonnée compte tenu de l'effet négatif sur la migration des poissons, en particulier des civelles. Le problème de ce site restait donc entier, considéré comme étant la clé de voûte d'un possible contrôle de l'évolution du lit de la Loire. Compte tenu des enjeux et des difficultés pour y répondre, nous avions suggéré que la recherche d'une solution sur ce site fasse l'objet d'un concours d'idées auprès des différentes structures européennes spécialisées dans le domaine de l'hydraulique fluviale.

Après moult réflexions, il a été décidé de confier au GIP Loire Estuaire (3) le soin de lancer une étude concernant la Loire entre les Ponts-de-Cé et Nantes. Idée intéressante en soi car cela permettait de conduire une réflexion globale pour un bief cohérent de la Loire. Il serait peut-être intéressant de conduire aussi une telle étude en amont du seuil du Pont Dumnacus, aux Ponts-de-Cé, celui-ci étant le fusible de l'évolution du fleuve en Loire saumuroise.

La procédure

Le contrat d'étude a été attribué à la Sté Hydratec assistée de Asconit Consutant, bureau d'études en environnement. Hydratec est en partie spécialisée dans l'hydraulique fluviale et a une bonne connaissance de la Loire pour avoir travaillé, entre autre, sur la modélisation des crues avec l'Equipe pluridisciplinaire du Plan Loire Grandeur Nature.

Le cahier des charges de l'étude avait pour objet d’élaborer un programme opérationnel d’intervention concernant un objectif général de restauration de l'équilibre morphologique du lit mineur et des fonctions écologiques assurées par ce lit ainsi que l'amélioration des conditions de connexion des annexes hydrauliques.

Les principales attentes exprimées étaient de :

- relever la ligne d'eau à l'étiage et à débit moyen

- respecter la fonctionnalité des axes migratoires

- stopper l'érosion régressive pour un bon équilibre du lit

- permettre la navigation actuelle, en étiage

- ne pas aggraver le niveau des crues

auxquelles il faut ajouter des objectifs évidents de continuité hydraulique des bras secondaires et de respect des paysages.

Réalisée depuis mi-2011 jusqu'au début 2013, cette étude était suivie par un comité d'experts (sédimentologues, hydrologues, spécialistes des milieux aquatiques, etc.) œuvrant au sein d'universités ou de laboratoires européens et français.

Les premiers enseignements de l'étude

Considérant que l'évolution des phénomènes caractérisant la dynamique fluviale de la Loire, en l'absence d'interventions, s'inscrit dans la durée, la réflexion a porté sur le moyen et le long terme (40 et 70 ans) en partant de la situation actuelle et en émettant des pistes d'actions associées à un calendrier et à des prévisions de coût. 

Le premier constat concernant la ligne d'eau est que la pente de celle-ci est sensiblement constante pour des débits supérieurs à 1000 m3/s mais que, par contre, il existe une accentuation de celle-ci en aval de St Florent-le-Vieil au débit d'étiage.

A noter que la pente moyenne d'étiage a augmenté de 15 cm/km à 17,6 cm/km en un peu plus d'un siècle. Cela signifie que la pente du lit du fleuve s'est amplifiée sous l'effet des interventions anthropiques (chenalisation et extractions de sable) mais aussi d'une érosion régressive très certainement accentuée par ces interventions humaines.

Très naturellement, plus le débit est faible, plus l'abaissement de la ligne d'eau est important.

           

La modélisation réalisée par Hydratec conduit à estimer que si aucune intervention n'est engagée pour endiguer l'incision du lit, celle – ci pourrait s'accroître, en 40 ans, des valeurs suivantes :

- La Pointe – Ingrandes : 0,2 m

- Ingrandes – Ancenis : 0,3 m

- Ancenis – Oudon : 0,5 m

- Oudon – Bellevue : 0,2 m

A partir de la mise en œuvre du modèle hydrosédimentaire, Hydratect a dégagé des principes généraux dont il ressort que :

- la pente hydraulique est peu modifiée par les apports de matériaux fins libérés entre les épis compte tenu de la difficulté à les maintenir dans le lit. Si cette action était systématisée, seulement 25% des prélèvements engraisseraient le fond du lit.

- l'ouverture des bras secondaires, plus ou moins obturés par des chevrettes, en limitant la vitesse d'écoulement dans le bras principal, limite l'action érosive dans celui-ci mais l'augmentation de la section d'écoulement tend à diminuer le niveau de la ligne d'eau.

Ceci conduit à considérer que chaque cas est un cas particulier pour lequel une analyse fine des actions, en regard des objectifs, est à effectuer pour en apprécier les avantages et les inconvénients. Le bief est ainsi scindé en plusieurs tranches d'interventions, de l'amont vers l'aval :

- entre La Pointe et Ingrandes : secteur de faible incision du lit, poursuivre les mesures conservatoires en cours

- entre Ingrandes et Ancenis : remobilisation des matériaux

- entre Ancenis et Oudon : zone d'intervention prioritaire

- entre Oudon et Bellevue : zone de transition avec l'estuaire

Chaque secteur fait l'objet d'une définition de grands principes d'interventions qui ne peuvent être détaillés dans cet article dont ce n'est pas le but, mais, cependant, les deux zones qui doivent faire l'objet d'une intervention prioritaire méritent une information particulière :

- la partie du fleuve située entre Ancenis et Oudon

Rappelons que, dans ce secteur, le fond du lit est surcreusé avec pour conséquence l'abaissement important de la ligne d'eau et aussi une situation favorable à la poursuite de l'érosion régressive du lit.

Pour remédier à cette situation, le remodelage des épis est insuffisant et il conviendrait de réaménager la chevrette en amont de l'île Neuve-Macrière (abaissement du niveau pour favoriser la remobilisation des matériaux dans le bras). La réalisation d'un chenal pilote est envisagée dans ce bras pour aider à la mise en place d’une dynamique sédimentaire et disposer de matériaux pour le rechargement du bras principal.

Dans le bras principal, démantèlement des épis, remblaiement des fosses avec les alluvions du chenal pilote, remblaiement du fond avec des matériaux concassés pour arrêter le processus d'incision voir faciliter les dépôts sédimentaires compte tenu de l'augmentation de la rugosité pariétale. Tels sont les principaux axes d'action dont le coût est estimé à plus de 11 millions d'euros.

- le secteur de Bellevue

La suppression du seuil dit de Bellevue, qui n'en était d'ailleurs pas tout à fait un, a augmenté le volume oscillant dans le bassin de marée (il est question de 50 Mm3) et a eu pour conséquences la remontée de la salinité dans le lit de la Loire et l'augmentation de la pente hydraulique favorisant le charriage du sable. Il s'agit donc de remonter notablement la ligne d'eau à débit moyen dans ce secteur afin de recréer un remous hydraulique favorisant le piégeage du sable en amont. En outre, l'aménagement ne doit pas avoir d'incidence sur les crues, permettre la migration halieutique ainsi que la navigation. La quadrature du cercle, en quelque sorte !

Il y a donc nécessité de créer une perte de charge locale pour diminuer la pente hydraulique et rehausser la ligne d'eau en créant une zone de transition entre la Loire en amont de Bellevue et la zone estuarienne en aval. Pour ce faire, Hydratec a imaginé la contraction des écoulements entre deux duits submersibles (en quelque sorte, une canalisation du débit de la Loire sur une longueur supérieure à 1 000 m et une largeur variable de 75 à 130 m). La ligne d'eau, en étiage de basse mer, serait située à l'intérieur de ce chenal alors qu'en étiage de haute mer elle submergerait les duits et s'étalerait, de part et d'autre de ceux-ci dans un espace alluvial meublé de tenons submersibles (genre épis) afin de limiter les vitesses d'écoulement. La vitesse maximale du courant dans le chenal serait de l'ordre de 2 m/s (7,2 km/h), par contre les bateaux à forts tirants d'eau ne pourraient remonter au-delà de cet aménagement qu'au moment de la haute mer.

Un tel aménagement suppose une stabilisation de la section d'écoulement dans le canal qui serait obtenue par un empierrement du fond. Coût estimé : 17,3 millions d'euros.

Compte tenu des enjeux et des difficultés, Hydratec estime qu'une étude approfondie du sujet doit être conduite et que la réalisation d'un modèle physique sur maquette est indispensable. C'est une sage précaution.


De cette importante étude, plusieurs enseignements se dégagent :

- Les mécanismes d'érosion, donc d'incision, se poursuivront si aucune action n'est engagée.

- L'aménagement du site de Bellevue est une impérieuse nécessité. Il reste à en définir l'architecture pour atteindre une forte probabilité d'efficacité pérenne.

- Les interventions tout au long du bief doivent être effectuées et réparties judicieusement dans l'espace et dans le temps.

- Si l'évolution négative tendancielle du bief semble pouvoir être maîtrisée, les gains sur la ligne d'eau resteront modérés et bien en deçà de ce qui pouvait être souhaité.

 Le déroulement de l'ensemble du programme, dont l'ambition est indéniable, court de 2014 jusqu'à fin 2027. Cela se justifie par les études complémentaires à réaliser entre autre pour les secteurs de Bellevue et de l'île Neuve Macrière ainsi qu'au fait qu'il n'est pas possible de tout faire en même temps. Enfin, le montant total estimé est de 62 millions d'euros, T.T.C. étalés sur 14 ans ce qui semble supportable. Il conviendra cependant d'être vigilant car les problèmes de financement sont souvent la pierre d'achoppement des programmes.

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