Mousses et écume de Loire


La question concernant les mousses (1) observées sur la Loire, en période de crue ou de hautes eaux, nous est posée depuis de longues années, sans avoir une réponse sérieuse à proposer. Au printemps dernier, le Docteur Billiard a publié, dans le bulletin de la Maison de la Loire, à St Mathurin-sur-Loire, un article intéressant sur le sujet. Se référant à une étude (1993) de la faculté des Sciences de Limoges, il s'agirait essentiellement de la présence de substances tensioactives (2) dans les effluents des usines de pâte à papier et, accessoirement, dans les rejets des stations d'épuration. Cette forme de pollution se situerait essentiellement entre Limoges et Confolens. Lors des crues de Vienne, ces mousses, accumulées au niveau des seuils, sont entraînées par le courant jusque dans la Loire, voire dans la Maine au-delà de la Confluence (comme mi-novembre 2008) où elles peuvent être observées, parfois en abondance.

Les résultats de cette étude ne sont pas à mettre en cause et sont très certainement pertinents mais les "anciens", qui regardent couler la Loire depuis longtemps, ont toujours observé ces mousses en période de crue. Selon des “anciens”, “la bousine (l'écume) est plate quand la rivière est en crue, elle est du genre œufs à la neige, quand elle est en décrue”.
Dans son étude sur les inondations de 1866 et la rupture de la digue insubmersible de Gohier, (cf. Lettre n°49) Ferdinand Lachèse écrit :"Cependant, le vendredi 28 septembre dernier (1866), la Loire, qui avait grandi de plus de deux mètres la veille, continua à s'élever de 0,04 m à 0,042 m par heure, en charriant d'énormes écumes".

Le phénomène semble donc antérieur à l'existence de ces usines de pâte à papier et la récurrence du "moussage" lors de la montée des eaux conforte, à notre avis, l’hypothèse d’un phénomène essentiellement naturel.

Cela nous a incités, avec l'aide de Michel Liétout, à rechercher s'il n'y avait pas d'autres causes.Selon la DIREN de la Région Centre (6-11-2008) ll s'agirait "d'un phénomène naturel, observé dans les cours d'eau en crue dont le bassin versant est forestier, de préférence en terrain non ou peu calcaire.Ce samedi, une crue provenant du Morvan est arrivée à Orléans et, effectivement, ce dimanche (maxi de la crue) on pouvait voir dériver de gros paquets de mousses qui s'accumulaient contre les obstacles, comme l'Inexplosible et autres barques amarrées près des quais d'Orléans. Ces mousses sont sans doute la partie visible d'émulsions d'acides humiques (3). Elles s'observent plus particulièrement après les premières pluies d'automne, dans les rivières de Sologne ou du bassin de la Creuse par exemple. Cette mousse n'est donc pas une pollution".

Le bureau d'étude Aquascop pense qu'il s'agit "d'un phénomène souvent observé, notamment en Haute Loire et dans le bassin de la Vienne, à la suite de pluies. Sur les terrains et versants recevant de très fortes pluies, les ruissellements entraînent les acides humiques vers la rivière. L’agitation et le brassage vigoureux des eaux sont à l’origine de la formation de mousse plus ou moins abondante (en particulier lors des crues)". La mousse est donc obtenue après agitation d’une émulsion de colloïdes, d’air et d’eau.

Face à un phénomène identique sur la Loue, à la demande de la DDT-Doubs, le laboratoire d’analyse, indique que "la mousse observée est causée par les protéines présentes dans la matière organique, lors de leur agitation dans les remous de l’eau au passage des seuils successifs. Ce phénomène de moussage naturel est aggravé lors des périodes des hautes eaux et/ou par une abondance de matière organique en décomposition.Lorsque l’eau contenant des matières organiques est agitée par des turbulences, à sa surface les variations de pression de l’air favorisent son emprisonnement sous forme de bulles qui s’empilent. Cascade, rapides, crues, peuvent permettre la formation d’écume dans des ruisseaux ne recevant aucune pollution anthropique ".
Enfin, Catherine Boisneau (Université de Tours) considère que "Certaines de ces mousses sont des émulsions de protéines ayant pour origine le lessivage du substrat et la dégradation de la matière organique. Selon la charge en matière organique, elles sont plus ou moins brunes. Maintenant, lors d'une crue, il y a sans doute des sources d'origine anthropique, diverses et peut être plus ou moins volontaires".

Pour conclure, si tant est qu'il soit possible de le faire, les "anciens" ont-ils raison de penser que "lorsque la bousine est plate………" , peut-être, mais cela semble devoir être à nuancer en fonction de la provenance des eaux de crue. Lorsque les eaux de Vienne sont majoritaires, à n'en pas douter l'origine provient bien des usines de pâte à papier. C'est ce qui expliquerait d'ailleurs que, parfois, en période de crue les mousses sont très abondantes et du genre œufs à la neige. Par contre, quand la crue est en provenance du haut bassin, les anciens auraient raison.
L’écume issue des turbulences de l’eau n’est donc pas forcément la marque d’une pollution… mais elle peut s’y cacher.
Gageons que nous allons maintenant observer les mousses de crue avec un autre regard et que, pour anticiper la crue, mieux vaut, peut-être, se référer aux prévisions de "vigie crue"

http://www.vigicrues.ecologie.gouv.fr

(1) Une mousse est constituée essentiellement d'une multitude de bulles d’air séparées les unes des autres par des parois de film mince d'eau avec un agent tensio-actif. Ces mousses de stabilité variable ont une durée de vie sensible à la pression, la température et la nature du tensioactif. Les plus connues sont celles formées par les savons et les détergents
(2) les agents tensioactifs diminuent l’attractivité des molécules d’eau entre elles.
(3) les acides humiques, substances organiques complexes, constituent une des fractions les plus importantes de l'humus provenant de la décomposition des débris végétaux, aquatiques ou terrestres. Ils sont très résistants à la biodégradation.
(4) un colloïde forme dans un liquide une dispersion homogène dont les dimensions sont intermédiaires entre celles des molécules simples formant des solutions vraies et celles suffisamment grandes pour sédimenter et former des suspensions. Ces macromolécules donnent une pseudo-solution dite solution colloïdale.

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