Les frênes menacés par la chalarose


Les frênes, une origine euro-asiatique

Essence forestière indigène(2), les frênes sont communs dans toute l'Europe et en Asie occidentale. Elle est la cinquième essence la plus courante en France (4% de la production). Les frênes occupent les massifs forestiers ou des milieux plus ouverts, de plaines et de collines, dans les haies et à proximité des cours d'eau; cette essence  nomade affectionne des sols riches et frais. Ils sont emblématiques des paysages de grandes plaines alluviales (Seine, Loire, Garonne, Rhin, Rhône...), leur habitat est le fond des lits majeurs subissant des crues régulières, ce sont les pionniers  des boisements  de rives à bois dur  avec les ormes (Ormaie-Frênaie/Chênaie).

Dans la vallée de la Loire et ses affluents, deux espèces de frênes occupent différents milieux et s'hybrident(3) naturellement dans les zones de contacts. Sur la Loire moyenne, en bordure du val, le Frêne élevé (Fraxinus excelsior L.) domine, sa distribution est plus vaste et septentrionale ; sur le cours occidental, c'est le frêne à feuilles étroites ( Fraxinus angustifolia Vahl.) et ses hybrides de répartition médio-européenne, plus thermophiles et à affinités méditerranéennes.

   Aujourd'hui les frênes sont malades ; l'équilibre fragile instauré au cours des millénaires entre les arbres, arbustes indigènes, cultivés ou ornementaux, et leurs cortèges parasitaires est rompu. En cause, l'activité humaine et les échanges intercontinentaux de matériel végétal. Les agents pathogènes introduits se multiplient rapidement et rencontrent des espèces locales naturellement sensibles et sans résistance suffisante ; le Frêne élevé (Frêne commun) est le plus touché et celui à feuilles étroites ainsi que leurs hybrides montrent des signes de sensibilité avérée. Le fléau progresse rapidement en empruntant les grands axes fluviaux, aucune région ne sera épargnée, même au sud de la Loire.

La chalarose du frêne, une maladie émergente

Il nous faudra bientôt nous habituer à voir des frênes qui dépérissent le long des routes, à proximité des cours d'eau, dans les forêts et haies, parcs et jardins, partout en France et en Europe où cette essence est distribuée.

Les arbres contaminés présentent dans leur houppier des jeunes pousses  flétries suivies de branches desséchées, des nécroses de feuillage et, à la base du tronc, des lésions d'écorce. Ces manifestations visibles du flétrissement du frêne ont été d'abord attribuées, à tort pendant une décennie, à des aléas climatiques (gelées tardives, chaleur et stress hydrique estival) ou au vieillissement de l'arbre avant d'être reconnues d'origine fongique en Pologne (2006).

 La chalarose du frêne nous vient de l'est de l'Europe; l'agent pathogène(4)est un champignon qui fut longtemps confondu avec une autre espèce, décomposeur de feuilles mortes mais parfaitement inoffensive. En France, elle arrive par le nord et l'est en 2008 et se propage rapidement,  de proche en proche, vers l'ouest et le sud-est. En 2016, le suivi réalisé par le Département Santé  des Forêts du ministère de l'agriculture, la situe en sud Mayenne et, à l'automne, aux portes de Saumur.

L'évolution de la maladie est lente,  des sujets de tous âges peuvent être la cible du champignon.

La progression du fléau

D'origine asiatique, le champignon parasite a trouvé dans les frênes communs et oxyphylles européens des hôtes vulnérables. Ce fléau a été accidentellement introduit via des pépinières de l'est de l'Europe et des Pays Bas plus récemment. Ensuite, la contamination s'est faite par dissémination naturelle des spores(5) du champignon portées  par le vent, par les oiseaux en migration, par des insectes parasites  se nourrissant du bois tendre situé juste sous l'écorce (des scolytes ont été observés sur des arbres affaiblis, attaqués).

Actuellement, des mesures prophylactiques (abattages, cordons sanitaires dans les massifs forestiers) sont engagées pour enrayer la rapide progression de cette épidémie. La recherche agronomique et forestière travaille déjà sur la résistance au champignon  de certaines variétés reconnues  et testées comme résistantes par coévolution entre le parasite et son hôte. Une récente étude danoise a montré, chez certains clones(6), une résistance d'origine génétique associée à la chute automnale plus précoce des feuilles.

Les individus repérés localement à faible sensibilité (en France inf. à 4%) freinent la propagation de  la maladie, leur sélection et leur mise en pépinières constituent le principal espoir pour cet arbre. 

Les frênes en danger... des paysages, des habitats menacés

 Si la rapidité de progression de l'épidémie, dans les boisements à Frêne élevé, inquiète les forestiers, cette menace pèse également sur  le Val de Loire et ses affluents dans son ensemble. Les nombreuses (re)plantations de haies bocagères (1980-2000), à partir de plants issus de pépinières hongroises et polonaises, vraisemblablement contaminées, ne seront pas épargnées.

Les  frênes sont des éléments du paysage ligérien à protéger. Le bocage à frênes fait partie de notre culture ; sous sa forme  "têtard", résultat d'un savoir- faire paysan, il y représente aujourd'hui un arbre à haute valeur patrimoniale et fait l'objet de mesures de sauvegarde et de  protection pour ses qualités esthétiques, biologiques et environnementales. Ces haies, souvent considérées comme espaces boisés classés et situées en zones Natura 2000, ont un intérêt biologique, esthétique et paysager dans le Val de Loire et  ses affluents. Leur disparition pourrait remettre en cause le récent classement au patrimoine mondial de l'Unesco de ce Val et, dans les zones N2000, les MAEC(7) dédiées aux frênes têtards et à leur entretien.

A terme, la raréfaction de ces vieux arbres têtards, riches de cavités naturelles qui constituent des habitats refuges, mettra en péril des espèces animales protégées  ou menacées, emblématiques du bocage ligérien (chauves-souris, chouettes chevêches, loriots et des insectes tels le "Lucane cerf-volant", la Rosalie des Alpes).

Sommes-nous prêts à voir se modifier nos paysages ligériens par la disparition de cet arbre emblématique?

Arbre à bois dur  aux multiples usages, post-pionnier des zones humides, sa présence est attestée dans le Val  depuis les temps les plus reculés (après les  dernières glaciations -7000 ans) ; le frêne a accompagné l'Homme dans ses migrations, sa sédentarisation, ses activités, son alimentation et celle de ses animaux. A l'époque gallo-romaine, l'emprise agricole s'intensifie dans le Val de Loire, la forêt de bois durs régresse ; les frênes accompagnent les grandes mutations agro-pastorales (aux grands défrichements de la bordure de la forêt alluviale  à la parcellisation des vaines pâtures et des communaux s'ensuit un embocagement progressif nécessaire à l'élevage) et  contribuent à la formation des paysages de nos grandes vallées.  En fin de XXème siècle, la partielle déprise agricole, l'enfoncement du lit de la Loire et la fréquence des inondations en baisse  ont favorisé l'extension de boisements spontanés.

            La menace est grande et il semble difficile de ralentir la progression de la chalarose mais d'autres stratégies de lutte sont possibles :  diversifier  les obtentions,  éviter le clonage et, de fait, l'origine commune des plants commercialisés en masse ou, tout simplement, accepter le remplacement du frêne par d'autres essences plus exotiques(2) qui se naturalisent sur notre territoire mais qui, hier, étaient considérées comme invasives.

            Tout aussi inquiétante est, actuellement, la pression exercée par les industriels du bois qui convoitent grumes, loupes de têtards, bois de chauffage  et qui procèdent à l'abattage massif d'arbres dans la vallée de la Loire et les Basses Vallées Angevines !

 

 

(1) Chalarose : n.f, prononcer Kalarose. L'agent responsable de la maladie est un champignon ascomycète microscopique du genre  Chalara fraxinea=Hymenoscyphus fraxineus (2014)

(2) Indigène/Exotique : Plante existant à l'état naturel dans un milieu spécifique / Plante introduite étrangère au milieu 

(3) Hybride : Généralement, issu du croisement de 2 variétés  d'une même espèce ou  d'espèces différentes

(4) Pathogène : Organisme responsable d'une maladie

(5) Spore : Cellule reproductrice capable de redonner un nouvel individu complet.

(6) Clone : Population d'individus/cellules obtenus par multiplication d'un seul individu/cellule.Génétiquement homogène

(7) MAEC : Mesures agro-environnementale et climatique sous forme de contrats proposés aux agriculteurs pour soutenir des pratiques favorables à la biodiversité

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