Gérer les sites classés


Le dernier bulletin “Sites et monuments” de la Société pour la Protection des Paysages et de l'Esthétique de la France (SPPEF)  est consacré au centenaire  de la protection des sites. Outre un éditorial de Madame la Ministre de l’Environnement et du Développement Durable, de nombreux articles commentent cette loi du 21 avril 1906 “organisant la protection des sites et monuments naturels de caractère artistique”. L’article de madame Catherine Bergeal, Sous-directrice des sites et des paysages, au MEDD, a retenu particulièrement l’attention car il exprime la vision de l’Etat concernant la gestion des sites classés, considérés comme exprimant la diversité et la qualité des paysages français et justifiant des mesures de protection pour en sauvegarder l’originalité et permettre leur évolution.
Les propos de cet article enrichissent utilement l'éditorial et l’article consacré à la politique des sites paysagers du Val de Loire, publié dans la lettre N° 40 de février 2006 et explique le bien fondé d’une stratégie de classement, dans l’intérêt général, malgré les réticences de visionnaires à court terme.


Gérer des sites classés pour les administrations, c'est, d'une part, contrôler leur évolution par un régime d'autorisations spéciales en vue de les protéger et, d'autre part, promouvoir leur intégration en tant que patrimoine paysager national aux dynamiques locales de gestion des territoires, afin de les valoriser.
Il s'agit donc d'appliquer une réglementation qui est aujourd'hui centenaire et placée sous la responsabilité du ministère de l'Écologie et du Développement durable, mais également de promouvoir une politique partenariale, la politique des «grands sites», proposée et conduite par ce même ministère depuis une trentaine d'années sur les sites classés les plus prestigieux.
Ces deux approches sont complémentaires car si la protection de ces lieux d'exception reste bien la finalité première fixée par le législateur, leur valorisation au bénéfice de tous est tout aussi essentielle au plan économique et social. Nos concitoyens sont en effet très attachés à ces lieux singuliers, reconnus d'exception et essentiels à l'économie touristique française, premier secteur d'activité de notre pays. Objets identitaires de fierté nationale, les sites classés expriment la diversité et la qualité des paysages français et constituent très souvent la vitrine ou l'image de la France à l'étranger.
Ces deux approches ont fait leurs preuves et resteront toujours nécessaires, quel que soit le site, qu'il s'agisse de gérer le site lui-même, ses abords immédiats ou son territoire d'influence.
La gestion à mener dans les sites et à leur proximité sera aussi diverse que les sites eux-mêmes et si le contrôle des travaux dans certains sites est parfois simple, le contrôle de leurs abords peut être difficile. Ainsi, la gestion de côtes ou de falaises rocheuses, de plans d'eau, de monuments naturels, cascades, rochers, ou arbres remarquables, sera souvent moins complexe à conduire que celle d'espaces agricoles, forestiers ou aquacoles, des sites historiques ou des hauts lieux de mémoire; dans ces cas, la gestion se mène en concertation avec de très nombreux acteurs locaux, propriétaires, exploitants ou usagers de ces espaces.
En effet, la valeur collective reconnue à tous ces lieux génère très logiquement une rente de situation et une volonté de l'exploiter, et crée une pression corrélée aux conditions d'accès et à l'attractivité des territoires. La gestion des sites est donc plus délicate à mener sur le littoral ou à la périphérie des villes que dans des vallées reculées et peu accessibles. Le contexte sera tout aussi déterminant sur un plan économique bien que la protection définitive du site conduise très généralement à un accroissement de sa valeur économique. L'inconstruc-tibilité de terrains non bâtis représente en général une perte de rente foncière pour les propriétaires des terrains, mais génère une augmentation immédiate de la valeur des propriétés déjà bâties qu'elles soient classées ou situées aux abords du site.
Au-delà de la spécificité de chaque site, qui doit conduire à disposer d'orientations de gestion clairement définies selon chaque contexte paysager, l'expérience a montré combien les deux approches restaient indispensables:

 La protection établie par la loi est encore régulièrement contestée et peu comprise par certains acteurs.

 Pour certains, la réglementation établie ne vise pas à garantir l'esprit des lieux au bénéfice de tous, mais simplement à spolier propriétaires ou élus locaux de leurs droits ou compétences inaliénables. Bien évidemment, la notoriété de certains sites les protège en partie, mais d'autres plus confidentiels, voire à l'état de vestiges peu lisibles faute d'une gestion partenariale suffisamment active, ne doivent leur survie qu'à l'application de la réglementation. En outre, même les sites les plus prestigieux ont parfois des difficultés à être préservés face aux pressions urbaines et, surtout, face aux grands travaux ou équipements d'intérêt public.
En effet, là où les pressions foncières sont les plus fortes, les sites classés apparaissent, au fil du temps, comme d'inespérées réserves foncières et ceci surtout si leur gestion au bénéfice de leur territoire a été négligée. Il est alors important de faire «d'un vide, un plein» par une communication accrue sur les valeurs exceptionnelles du site et, le cas échéant, par la mise en oeuvre d'un projet de réhabilitation.

 En outre, la protection réglementaire ne suffira pas toujours à bien gérer le site.

 Beaucoup de nos sites classés façonnés par l'histoire et nos ancêtres, sont tributaires des activités humaines qui s'y exercent, le plus souvent d'activités agricoles ou pastorales. Or, en cas de déprise agricole, les arbres poussent sans autorisation ministérielle et la nature reprend vite ses droits, fermant ainsi perspectives et points de vues.
De même, il ne suffira pas de refuser simplement tout aménagement ou tous travaux à même de modifier l'aspect des sites, car certains de ces travaux seront indispensables au maintien de cet aspect et aux activités humaines qui s'y exercent. En effet, dans un site, la charge de la preuve s'inverse: c'est l'autorisation spéciale du ministre qui ((déroge>) en fait au principe d'interdiction générale de modifier l'aspect des lieux et qui doit d'être motivée. Or, une interdiction totale reviendrait à laisser se transformer certains paysages en ((ruines romantiques». En effet, comme pour le patrimoine bâti, le patrimoine végétal et paysager s'entretient et doit parfois faire l'objet de véritable ((projets» de conservation et de mise en valeur. Il s'agit alors de "ménager" plus que "d'aménager" le site, de perpétuer ses valeurs, de savoir les lire et les restituer dans le respect de l'esprit des lieux.
L'expérience montre qu'encore trop souvent, certains concepteurs autorisés à intervenir dans de tels sites opposent à l'excès, patrimoine et modernité, création et conservation, et ne sont pas toujours parfaitement conscients ou informés des valeurs auxquelles ils touchent. Pour les moins modestes, il n'est pas rare que leur projet ait pour ambition <(d'améliorer» le site protégé considéré par eux comme le simple cadre de leur création et non comme le joyau à valoriser.
Il est en effet fréquent que le cadre exceptionnel du site soit plutôt exploité que servi. Ainsi, et notamment en matière de travaux publics, il est souvent très compliqué d'obtenir de faire simple et si possible invisible, alors même qu'une inauguration est attendue localement pour marquer la réalisation du projet.

 Enfin, l'appropriation locale des valeurs reconnues par le classement est un exercice permanent.

 Plus le site dépend d'activités humaines, plus forte est sa notoriété, et plus il est indispensable de mettre en place des partenariats à même d'assurer une gestion et un tourisme durables. La politique «grands sites »( ), comme les réflexions interna-tionales sur la gestion du patrimoine mondial, patrimoine de «valeur exceptionnelle universelle», ou encore les orientations définies par la Convention européenne des paysages, permettent aujourd'hui de bien aborder cette problématique.
Il s'agira alors, dans le territoire soumis à l'influence de ces sites particuliers, de définir un projet incluant un plan de paysage et un plan de gestion à même de permettre un développement durable ainsi qu'une recherche de retombées économiques profitables aux habitants et au site et compatibles avec l'esprit des lieux.
Ces projets de développement doivent alors permettre de concilier vie locale et accueil touristique, de faire dialoguer ceux qui y vivent ou en vivent avec ceux qui y viennent ou y sont très attachés. Aussi, les processus mis en place pour valider ces projets en commissions des sites, comme le régime des autorisations spéciales, participent alors totalement à ce dialogue de gestion.
Afin d'encourager et de reconnaître les efforts des gestionnaires de tels sites, le MEDD a décidé la création en 2004 d'un label «GRAND SITE DE FRANCE®», propriété du ministère de l'Écologie et du Dévelop-pement durable, qui vient reconnaître une gestion exemplaire et surtout durable de ces hauts lieux de notre patrimoine paysager.

Catherine BERGEAL
Sous-directrice des sites et des paysages
Ministère de l’Ecologie et du Développement durable

Retour accueil